Français, savez-vous comment fonctionne une centrale nucléaire ?

J’adore Youtube pour sa faculté à apporter du contenu intéressant à l’utilisateur qui s’y balade, même lorsqu’il ne recherche rien en particulier. Ce ne sera probablement pas la dernière fois que je renvoie un lien vers une vidéo, puisque je suis un petit nombre de chaînes Youtube de vulgarisation de qualité, à mon humble opinion. Pour cet article, c’est cependant la diffusion d’un débat sur le nucléaire qui a retenu mon attention (disponible ici). Je trouve le débat particulièrement intéressant, puisqu’on peut y entendre par exemple d’un avis unanime que les discussions politiques sur les énergies se perdent dans des tabous, en ce qui concerne le nucléaire. Le passage qui m’a donné envie d’écrire cet article est le suivant (à 6min45) :

« Jean-Marc Jancovici – Une des choses que l’on arrive pas à faire [en France], c’est de commencer par poser l’objet du débat. Vous ne voyez nulle part « le nucléaire, c’est quoi ? ». Si vous demandez aux Français de vous expliquer comment fonctionne une centrale nucléaire, je pense que vous allez trouver entre 1 et 5% qui sont capables de vous donner… [interrompu]

Animatrice – Oui mais ça c’est normal, non ? […] Vous ne pouvez pas demander aux Français de connaître le fonctionnement d’une centrale, si ?

JMJ – Espérer avoir un avis informé sur quelque chose dont vous ne comprenez pas le fonctionnement, c’est quand même ennuyeux, quelque part. »

Difficile quand même de donner tort à Jean-Marc Jancovici sur ce point.

Il suffit de regarder la vidéo pour se rendre compte que l’animatrice n’est pas dans l’attaque, ses questions ne sont pas faites pour provoquer comme pourrait peut-être le faire croire la transcription écrite. En revanche, elles témoignent en filigrane de cette idée reçue que le commun des mortels ne peut rien comprendre du fonctionnement d’un équipement technologique, comme si c’était peine perdue. J’insiste : ne peut rien comprendre. C’est nier qu’il existe des niveaux de compréhension pour n’importe quel type de sujet. On ne peut en revanche pas TOUT comprendre, parce qu’on peut se poser mille questions avec un niveau de détail infini. Il faut donc faire le tri et retenir l’essentiel.
Et justement, quand on voit l’essentiel, on se rend compte que non seulement, on peut demander aux Français de connaître le fonctionnement d’une centrale nucléaire, mais ce dès l’âge de 10 ans.
Alors quelques explications…

Niveau de compréhension 1 : de l’énergie nucléaire à l’énergie électrique.

(J’ai déjà consacré un article sur la notion d’énergie et ses différentes formes.)
Une centrale nucléaire se sert d’une réaction nucléaire pour faire bouillir de l’eau et entraîner une turbine à l’aide de la vapeur produite. Comme la turbine est associée à un alternateur (un aimant qui tourne devant une bobine métallique), on en tire de l’électricité. Voilà voilà.
Non, sérieusement, c’est fini. Des questions restent en suspens, mais au niveau du mode de production de l’énergie électrique, c’est déjà l’essentiel. Et le meilleur, c’est que si vous vous demandez comment fonctionne une centrale à charbon, à gaz, à fioul, c’est le même principe. On chauffe de l’eau, on met une turbine et un alternateur, et c’est tout. Et encore un bonus : pour un barrage hydraulique, on ouvre les vannes et l’eau, dans sa chute, entraîne directement la turbine. On vient de comprendre comment on exploite la fission nucléaire, les énergies fossiles et l’énergie cinétique de l’eau. D’une pierre trois coups !

Niveau de compréhension 2 : localiser les déchets produits.

Allons à peine plus loin pour comprendre où peuvent se trouver les déchets. Regardons comment la chaîne de transformation de l’énergie est structurée dans une centrale nucléaire :

fonctionnement_centrale_nucleaire
Schéma de fonctionnement d’une centrale nucléaire.

Vous voyez trois circuits d’eau (rose, bleu foncé et bleu ciel).
Le circuit primaire (rose) contient de l’eau elle-même directement en contact avec le combustible nucléaire. Les réactions de fission nucléaire la chauffent à environ 300°C, mais les hautes pressions permettent de garder cette eau sous forme liquide (Pourquoi ? Me direz-vous. Article à venir !). Cette eau contient des éléments radioactifs issus des réactions nucléaires. J’y reviendrai.
Le circuit secondaire (bleu foncé) est celui qui va permettre l’entraînement des turbines. L’eau est chauffée en la mettant en contact avec les tuyaux du circuit primaire. Comme ce circuit n’est pas sous pression, cette eau bout, s’évapore et la vapeur passe dans les turbines qui se mettent à tourner et produire l’électricité. La vapeur continue son chemin et est mise en contact avec les tuyaux du circuit de refroidissement, pour repasser à l’état liquide et boucler le cycle.
Le circuit de refroidissement fait circuler de l’eau froide issue d’une source naturelle, comme un cours d’eau par exemple. La vapeur qui résulte du contact avec le circuit secondaire est évacuée par la tour de refroidissement (les fameuses cheminées gigantesques des centrales nucléaires).

Deux points sont très importants :

1. Les trois circuits ne communiquent pas entre eux. Il n’y a jamais d’échange d’eau, juste de chaleur (une eau chauffe des tuyaux, qui chauffent à leur tour l’eau d’un autre circuit).

2. L’eau du circuit primaire n’est PAS radioactive ! Je clarifie ici un abus de langage, qui peut amener à des idées reçues. L’eau du circuit primaire est nocive car elle contient des éléments radioactifs, mais les molécules d’eau ne deviennent pas radioactives. Si vous filtrez cette eau, elle n’aura rien de particulier, elle sera potable. La radioactivité ne se transmet pas, elle ne contamine pas. Dire qu’une zone est contaminée, c’est dire que des éléments radioactifs s’y trouvent, pas que de la matière non radioactive est devenue radioactive !
Conséquence : les déchets radioactifs se trouvent dans le circuit primaire et lui seul. Le circuit secondaire n’est jamais radioactif, puisqu’il n’échange pas d’eau avec le circuit primaire. Si une fuite survient, il suffit de purger l’eau du circuit secondaire, qui, je le rappelle, n’est pas en contact avec l’environnement.
Les déchets radioactifs sont alors filtrés et stockés sous forme solide, par vitrification (c’est-à-dire piégeage dans du verre) . Les rejets de gaz à effet de serre lors du fonctionnement sont quasi-nuls [1].

J’en profite pour continuer le parallèle avec les centrales thermiques, qui ressemblent à ceci :

schéma centrale thermique à flamme
Schéma de fonctionnement d’une centrale thermique.

Même principe donc, sauf que le circuit primaire a disparu, puisque l’eau n’a pas besoin d’être en contact direct avec ce qui est brûlé (charbon, gaz, fioul).
La seule différence de taille est le rôle de la cheminée : ici, elle évacue les résidus volatiles de la combustion, donc les déchets, c’est-à-dire les gaz à effet de serre (CO2 en tête) directement dans l’atmosphère. Autrement dit, la cheminée est à raison le symbole même de la pollution pour ces centrales thermiques, mais est tout l’inverse pour une centrale nucléaire.

Niveau de compréhension 3 : source de l’énergie et nature des déchets.

L’énergie nucléaire, la radioactivité, qu’est-ce que c’est ? J’y consacrerai probablement un article plus détaillé, mais l’idée est la suivante :
L’atome est composé d’un noyau de protons et de neutrons entourés d’électrons. Des liaisons fortes, très énergétiques, existent entre les constituants du noyau pour maintenir sa cohésion. Si l’on parvient à rompre le noyau, on peut libérer cette énergie nucléaire (= qui provient du noyau). Cependant, la plupart des atomes sont stables et ne vont pas rompre facilement. Il est donc plus simple d’aller chercher du côté des atomes instables.
Un atome instable n’est… pas stable : cela veut dire que même si on le laisse seul, il va finir par se transformer en un autre atome. Pour cela, il va généralement émettre un atome d’hélium (qu’on appelle dans ce contexte particule  \alpha (alpha)), un électron (particule  \beta (bêta)) ou un rayonnement  \gamma (gamma), d’où les trois types de radioactivité du même nom. L’atome d’uranium 235 est un atome instable et très massif, mais plutôt que de le laisser se désintégrer tout seul, on lui donne un petit coup de pouce. En envoyant un neutron lent, il l’absorbe et cela le perturbe énormément : il se scinde en deux gros atomes, un de baryum et un de krypton, et libère trois neutrons rapides ainsi qu’une énorme quantité d’énergie qui va chauffer le milieu environnant (l’eau du circuit primaire).

Schéma de la fission nucléaire de l’uranium 235.
À l’arrivée d’un neutron sur le noyau d’uranium, celui-ci se scinde pour former un noyau de baryum et un noyau de krypton, ainsi que trois neutrons libres. Une importante quantité d’énergie est alors libérée.

Ralentis par l’eau, les trois neutrons peuvent à leur tour rencontrer d’autres atomes d’uranium et déclencher leur fission. On a ainsi une réaction en chaîne. Avec une quantité suffisante d’uranium 235, et si l’on ne faisait rien d’autre, la réaction s’emballerait ; dans une bombe, c’est l’effet recherché. Mais certains matériaux captent facilement les neutrons solitaires, ce qui permet de réguler la réaction. On peut ainsi régler en temps réel la vitesse de réaction en insérant plus ou moins ces barres de contrôle entre les tiges d’uranium, et donc libérer plus ou moins d’énergie selon la demande du réseau électrique. Le rendement est sans commune mesure : 1 gramme d’uranium libère à peu près autant d’énergie que la combustion d’1 tonne de charbon ! On a donc un système qui est grosso modo un million de fois plus efficace.
Les déchets nucléaires sont les résidus de la réaction ou de désintégrations secondaires, ou d’autres choses encore, comme de l’uranium 236 (un uranium qui a absorbé un neutron mais ne s’est pas scindé, ce qui peut arriver). La plupart de ces déchets sont radioactifs, certains très fortement. Une partie de ces déchets constitue une pile de « déchets ultimes », c’est-à-dire dont on ne sait qu’en faire, et donc que l’on cherche à stocker ou enfouir. Certains éléments restent actifs durant une trentaine d’années, d’autres peuvent dépasser le million d’années d’activité.
Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que la notion de déchet est une notion subjective et pas définitive. Si vous trouvez un moyen d’exploiter ce qui était considéré comme un déchet, ce n’en est plus un. C’est le but recherché ici. Par exemple, les centrales telles que je les ai présentées produisent inévitablement du plutonium 239. Ce dernier ne constitue pas à proprement parler un déchet nucléaire, puisque mélangé à de l’uranium 238, il donne un combustible baptisé MOX qui peut être exploité dans des centrales spécialisées. Une partie des déchets nucléaires est ainsi « recyclée ». Je vous invite aussi à vous renseigner sur le prototype de réacteur nucléaire « Superphénix », fer de lance du nucléaire français dans les années 1980, dont le principe était de pouvoir transmuter les déchets hautement radioactifs générés. Ce réacteur a cependant été arrêté du fait de pressions politiques.

 

Pour conclure, j’espère vous avoir fourni des clés importantes pour avoir une meilleure compréhension du nucléaire. Et bien que je ne cherche pas à créer le débat dans cet article précis, l’objet du débat, lui, est posé !

 

Note :
[1] (retour au texte) On pourra me rétorquer, à raison, que la vapeur d’eau est un gaz à effet de serre (même si elle est loin d’être l’espèce chimique la plus efficace en la matière). Cependant, il est évident que la vapeur d’eau est extrêmement abondante dans l’atmosphère terrestre, donc que ces rejets dus à l’activité humaine ne sont pas vraiment significatifs. De plus, la durée de séjour de la vapeur d’eau dans l’atmosphère est de trois jours en moyenne. Pour le dioxyde de carbone CO2, l’activité humaine augmente drastiquement sa concentration dans l’atmosphère (et cela va en s’accélérant), et sa durée de séjour dans l’atmosphère est d’un siècle ! C’est une autre paire de manches…