Doit-on forcément fuir devant une équation ?

 \sum_\omega^\infty\Lambda\varphi = \dfrac{\mathrm{d}}{\mathrm{d}\mu}\int_{y+2}^{z+33}\dfrac{24\pi^2}{N_\text{part}F(\Gamma R^3)} e^{U_\infty(T_\alpha^\gamma)} \hat{M}\mathrm{d\Psi}

J’imagine que si vous lisez cette ligne, c’est parce qu’ou bien les équations comme celle ci-dessus ne vous effraient pas, ou bien le titre de cet article vous a poussé à contenir votre répulsion quant à ces amas de symboles dénués de sens dont vous ne comprenez pas l’intérêt. Et dans l’exemple ci-dessus, comme vous avez pu le deviner, ils n’ont effectivement aucun sens. En physique comme en mathématiques, il y manque déjà quelque chose d’élémentaire : la définition de tous ces symboles. Une équation établit un lien entre différentes quantités, mais pour comprendre ce lien, encore faut-il connaître la signification des différents symboles utilisés pour savoir quelles quantités ces symboles décrivent. Une équation lâchée dans la nature, livrée à elle-même, ne signifie donc rien, et les lignes qui la précèdent ou suivent expliquant la nature des symboles utilisés est tout aussi importante.

Les mathématiques sont un langage à part entière. Les particularités de ce langage sont que :

– sa syntaxe est bien définie. Cela n’empêche pas le fait qu’à tout nouvel objet mathématique, il faille comprendre quelle syntaxe est la bonne. Pour donner un exemple, le produit de deux nombres a et b peut s’écrire ab ou ba indifféremment car la syntaxe l’autorise, c’est la propriété de commutativité. En revanche, pour deux matrices (un autre objet mathématique donc) A et B, le produit AB est généralement différent du produit BA. Ces produits peuvent être égaux, mais uniquement dans des cas très particuliers, tandis qu’ils sont toujours égaux lorsqu’ils concernent simplement des nombres.

– à chaque fois que l’on veut s’exprimer dans ce langage, il faut fournir le dictionnaire qui va être valable dans le contexte dans lequel on s’exprime. Les symboles, les « mots » mathématiques, n’ont aucune signification immuable et l’équation, la « phrase » mathématique, n’a de valeur qu’une fois cette signification donnée.

Maîtrisées, les mathématiques deviennent un outil extrêmement puissant lors de l’analyse d’un problème physique. Elles ont d’énormes avantages.

– la concision : une équation décrit un lien entre des quantités physiques sous la forme d’un ensemble compact de symboles et d’opérations. Un phénomène physique se trouve donc résumé sous une forme très condensée. Comme un jargon, cela a l’avantage de transmettre beaucoup d’information et de donner une vue d’ensemble rapide à celui qui le maîtrise.

– l’exhaustivité de l’information : une fois que l’on a réussi à décrire un phénomène sous la forme d’une équation, on possède toute l’information sur ce phénomène (limité tout de même aux hypothèses utilisées pour l’établir). En effet, s’interroger par la suite sur tel ou tel aspect du phénomène pourra se résumer à appliquer une opération précise sur l’équation. L’étude de l’équation obtenue pourra permettre de répondre à la question que l’on s’était posée. À noter que cela peut être très difficile.

– les reformulations et les recombinaisons : on peut toujours réagencer, ramifier, englober les symboles d’une équation pour en reformuler la signification, sachant que si la syntaxe a été respectée, le phénomène décrit ne peut en aucun cas être altéré par ces manipulations. Cela peut donner accès à tout une équivalence de points de vue distincts sur un phénomène donné, pouvant permettre de mieux le comprendre.

– l’évaluation quantitative des phénomènes : c’est l’apport le plus évident d’une équation. Si l’on remplace les symboles par des quantités concrètes, on pourra en déduire la valeur du phénomène étudié. Et conséquence des deux premiers points, on pourra savoir si, en doublant la valeur de telle quantité initiale, le phénomène final sera lui aussi doublé, divisé par 2, mis au carré, etc. On peut donc juger des dépendances et des rapports de force entre plusieurs contributions d’un seul coup d’œil.

Après toutes ces raisons évoquées, il paraît difficile de comprendre la fuite de la plupart de gens devant une équation. Je pense que c’est dû au double tranchant de l’apprentissage scolaire : pour être efficace, il doit être suivi au cours de l’enfance, mais on ne connaît pas grand-chose du monde extérieur à ce moment-là. On fait apprendre des techniques avancées de résolution aux enfants pour résoudre des problèmes auxquels ils n’ont pas pu être confrontés d’eux-mêmes. Résultat : beaucoup ne s’intéressent pas et ne comprennent pas ce qu’on leur fait ingurgiter. Pire, la pression scolaire exacerbe l’aversion pour, ici, les mathématiques lorsque les élèves sont en échec. Je ne blâme pas le système (le systématisme des notes, peut-être…), la formation est l’objectif n°1 du système éducatif et il faut bien commencer tôt.

Je ne compte pas proscrire les équations lors de la description d’un phénomène, même si l’un de mes objectifs au sein de ce blog est de laisser accessible la physique au plus grand nombre. Je ferai simplement en sorte d’accompagner le lecteur si j’en mets, et j’espère que ce sera l’occasion pour le lecteur de redécouvrir les mathématiques du bon point de vue : celui de l’outil de l’esprit nécessaire pour éprouver la science, et non la matière qui apporte des mauvaises notes.