Fluorescence, phosphorescence et fluctuations quantiques du vide (I).

Dans le cadre d’un article précédent détaillant le fonctionnement d’un laser, j’ai présenté le phénomène d’émission spontanée : un atome dans un état excité, c’est-à-dire possédant un surplus d’énergie, ne reste pas dans cet état indéfiniment et restitue cette énergie en émettant de la lumière, un photon. Ce phénomène, que vous découvrez peut-être, vous est en fait familier. Il est responsable de ce qu’on appelle la fluorescence, et de la phosphorescence. Attention, les deux termes ne sont pas synonymes ! Alors quelle est la différence ?

Quand parle-t-on de fluorescence et de phosphorescence ?

Tout d’abord, on parle de fluorescence et de phosphorescence lorsque l’on a affaire à un cycle {absorption d’un photon + émission spontanée}. Le phénomène d’absorption est en quelque sorte le contraire de l’émission spontanée : l’atome prend l’énergie du photon, qui est alors détruit, et un électron transite d’une orbitale à une autre. Attention : comme celui émis, le photon reçu possède l’énergie adéquate (E_2 - E_1), sans quoi il ne peut pas être absorbé.

Processus d’absorption
1. Arrivée d’un photon de la bonne énergie sur un atome dans l’état fondamental.
2. Transition de l’électron vers une orbitale de plus haute énergie et destruction du photon.
3. Atome dans l’état excité.

 

Il nous faut maintenant aller un peu plus loin en considérant deux choses : tout d’abord, le fait que le système (bien plus souvent une molécule qu’un seul atome) possède plusieurs électrons, et ensuite, le moment magnétique de spin de ces derniers.

« Le… quoi ? »

Le moment magnétique de spin. Je vais faire court et donc m’autoriser un certain nombre de raccourcis (vous voilà prévenus !). Vous connaissez la charge électrique ? C’est une propriété de la matière qui la rend sensible à la présence d’un champ électrique. Vous connaissez la masse ? Là encore une propriété de la matière, qui la rend sensible à la présence d’un champ gravitationnel. Hé bien le spin, c’est encore une autre de ces propriétés, et du spin découle le moment magnétique de spin, qui rend la matière sensible à un champ magnétique. Le moment magnétique de spin n’est pas l’équivalent d’une « charge magnétique » : il a une valeur et une orientation, là où la charge électrique et la masse se contentent d’une valeur. On le représentera donc par une flèche. Le moment magnétique de spin des électrons ne pourra prendre que deux orientations, vers le haut ou vers le bas. Quand plusieurs électrons se répartissent dans les diagrammes d’énergie que j’ai déjà montrés, ils n’ont le droit d’occuper la même orbitale qu’à une seule condition : leurs moments magnétiques doivent être d’orientations différentes. Dans le cas contraire, les états des électrons seraient rigoureusement identiques, et cela est interdit (c’est le principe de Pauli). Puisqu’ils ne peuvent être orientés que vers le haut ou le bas, il ne peut y avoir que deux électrons par orbitale.

 Niveaux d'énergie et électrons d'un atome ou d'une molécule...    ... pour 3 niveaux et 3 électrons. L'électron sur l'orbitale 2 ne peut pas occuper l'orbitale 1, puisqu'un électron avec le même moment magnétique l'occupe déjà. La configuration représentée est donc la configuration de plus basse énergie.
Niveaux d’énergie et électrons d’un atome ou d’une molécule…
… pour 3 niveaux et 3 électrons. L’électron sur l’orbitale 2 ne peut pas occuper l’orbitale 1, puisqu’un électron avec le même moment magnétique l’occupe déjà. La configuration représentée est donc la configuration de plus basse énergie.

 

On peut maintenant faire la différence…

… entre fluorescence et phosphorescence.

Fluorescence : Après l’absorption d’un photon, l’électron excité retourne à l’état fondamental en en réémettant un. Rien de particulier ne se passe au niveau du spin. Le processus ne dure alors que quelques nanosecondes, autant dire qu’à notre échelle de perception, il est instantané. Ce qui veut dire aussi qu’un objet fluorescent ne peut pas être lumineux dans le noir !

Phosphorescence : Cette fois-ci, pour des raisons que je ne détaillerai pas, l’électron excité transite dans un autre niveau d’énergie particulier (un état dit triplet), où son spin s’est retourné. Il est donc bloqué dans cet état d’énergie ! En effet, le niveau d’énergie plus basse est déjà occupé par un électron de même spin, il lui est donc interdit d’y retourner. Il va quand même y parvenir, en se désexcitant et en retournant son spin simultanément. Ce processus aléatoire est cependant bien plus rare, et peut prendre des secondes, voire des heures ! Résultat, une fois qu’on a éclairé un matériau phosphorescent, celui-ci diffuse de la lumière au fur et à mesure que ses molécules parviennent à retourner à l’état fondamental. Plus on l’aura éclairé longtemps au préalable, plus il sera lumineux, puisqu’un nombre plus important de molécules se seront « coincées » dans l’état triplet. Les deux phénomènes sont résumés sur le schéma suivant :

Processus de fluorescence et de phosphorescence.
Fluorescence :
1. Absorption d’un photon.
2. Réémission du photon.
L’état triplet ne joue aucun rôle.
Phosphorescence :
1. Absorption du photon.
2. Retournement de spin (passage dans l’état triplet).
3. Un photon ne peut être réémis immédiatement (la transition classique est interdite).
L’électron doit effectuer la transition en retournant son spin, ce qui est beaucoup moins probable et peut arriver plusieurs heures après l’absorption. De ce fait, l’objet reste lumineux un certain temps dans le noir.

 

Un dernier point notable est qu’en réalité, la lumière absorbée et la lumière réémise ne sont pas forcément identiques. Cela vient du fait que la structure électronique des molécules est encore un peu plus riche que ce que j’ai précédemment présenté. Les molécules peuvent en effet vibrer, avec une certaine énergie. Ainsi, des sous-niveaux vibratoires existent, pour chaque niveau électronique, comme illustré ci-après.

Cycle de fluorescence plus fidèle à la réalité.
1. La molécule absorbe un photon d’énergie E3 + Evib – E1, ce qui porte l’électron dans l’état correspondant.
2. L’énergie Evib liée à la vibration est très rapidement perdue par la molécule, et cédée à son environnement en quelques picosecondes (millionième de millionième de seconde). Il n’y a pas d’émission de photon.
3. L’électron retombe dans l’état fondamental, et émet un photon d’énergie E3 – E1. Ce photon est d’énergie inférieure, donc de longueur d’onde supérieure (les deux quantités sont inversement proportionnelles).
Il est ainsi possible à une molécule d’absorber dans l’ultraviolet et de réémettre dans le spectre visible.

 

Les vibrations de la molécule s’atténuent rapidement en percutant les molécules voisines. De fait, l’énergie liée à ces vibrations est très rapidement perdue sans rayonner. Puis, une transition classique s’effectue en émettant un photon. Mais puisque les niveaux impliqués diffèrent entre l’absorption et l’émission, l’énergie du photon émis est inférieure à celle du photon absorbé. Et voilà comment vous devenez lumineux en boîte de nuit, si vous portez des vêtements blancs, lorsque l’on vous éclaire en « lumière noire » : les ultraviolets, qui ne sont pas perçus par l’œil humain, sont absorbés par les molécules fluorescentes et réémis dans le spectre visible, principalement le bleu. À noter d’ailleurs que les molécules fluorescentes en question ne constituent pas vos vêtements, elles proviennent des agents blanchissants contenus dans votre lessive, ou agents azurants.

TonicEnfin, fluorescence ne rime pas avec toxicité. La plupart des molécules fluorescentes sont dites aromatiques, elles ont une structure chimique spécifique. Mais, avec ce nom, vous vous doutez bien qu’une partie d’entre elles est responsable des arômes que nous percevons (j’ai bien dit cependant « une partie d’entre elles »). En outre, si l’on met une boisson tonique sous éclairage ultraviolet, ça donne le résultat ci-contre. Pourquoi ? Parce que la quinine qu’elle contient est fluorescente, et ça ne cause pas de problème de santé pour autant.

Quid des « fluctuations quantiques du vide » ? Elles viendront dans le prochain article !

Le laser, machine à dupliquer les photons

exemple-de-tpe-s-le-laser

Dans cet article, je vais m’intéresser à cette machine fascinante dont tout le monde entend parler régulièrement, et qui est omniprésente dans les laboratoires : le laser ! Ah… sauf que ça commence mal : le LASER, à la base, ce n’est pas une machine, c’est un concept ! Mais on a vite appelé laser le dispositif qui exploite le concept du LASER. Bon, bref, commençons donc par expliquer le concept.

Concept du LASER.

Le LASER, et c’est pour cette raison que je l’écris en majuscules, est un acronyme pour « Light Amplification by Stimulated Emission of Radiation », soit en français « Amplification de Lumière par Émission Stimulée de Rayonnement » (ALESR, ça n’est pas très beau !). Il me faudra donc détailler un peu ce qu’est ce processus d’émission stimulée et comment on s’en sert pour amplifier la lumière.

Peut-être certains d’entre vous réagissent à l’évocation du mot anglais « radiation », mais il n’y a pas lieu de s’alarmer. Ce que l’on désigne par radiation, c’est simplement une onde électromagnétique, et ce indépendamment de son caractère nocif ou non (c’est pour cette raison qu’on le traduit plutôt par rayonnement, en français). La lumière est un cas particulier de radiation, possédant une longueur d’onde comprise entre 380 nm et 780 nm. Autrement dit, il est tout-à-fait normal de dire qu’une simple lampe de chevet vous irradie, juste parce qu’elle vous éclaire ! Les deux mots sont synonymes mais le mot français « radiation » est connoté, car il renvoie à la notion de radioactivité, qui elle a tendance à être nocive (mais il y a beaucoup de choses à en dire, et cela fera peut-être l’objet d’un article).

Bien que le phénomène d’émission stimulée soit au cœur du concept du LASER, un autre phénomène en permet le déclenchement : l’émission spontanée. Pour savoir de quoi il s’agit, il faut aller voir ce qui se passe à l’échelle atomique.

Émission spontanée et émission stimulée.

3d atom
Ça ira pour cette fois !

Pour faire assez court, l’atome est constitué d’un noyau de protons et de neutrons autour duquel se trouvent des électrons. Les électrons occupent des orbitales bien précises, mais soyons clairs ici : « orbitales » n’a pas le sens d’orbite, et nous savons qu’un atome ne se comporte pas comme un système solaire miniature. Néanmoins, ce modèle physique, bien que faux, est déjà suffisamment raffiné pour nous permettre de comprendre les phénomènes d’émission spontanée et d’émission stimulée. Donc vous pouvez garder cette vision de l’atome pour cette fois si vous voulez vous représenter les choses de cette façon, en retenant que les choses sont en vérité plus subtiles.

Un électron donné ne peut pas avoir n’importe quelle « orbite », seules certaines sont permises, et lorsque l’électron occupe une orbitale précise, il possède une quantité d’énergie précise qui y est associée. Pour décrire l’état d’un électron de l’atome, on peut ainsi complètement oublier l’orbitale qu’il occupe et se focaliser sur l’énergie qu’il possède. On peut alors représenter l’état de l’électron à l’aide d’un diagramme très simple :

Diagramme d’énergie d’un atome.

 

L’émission spontanée et l’émission stimulée correspondent alors à deux types de transitions de l’électron dans ce diagramme.

– Émission spontanée : Imaginons que l’atome soit excité, c’est-à-dire que l’on a fourni au préalable de l’énergie à l’électron, peu importe comment, de manière à ce qu’il occupe une certaine orbitale. Cet électron va chercher à retourner à un état de plus basse énergie. Pourquoi ? La réponse a cette question est, de mon point de vue, fascinante et je la traiterai dans un autre article. Bref, l’électron veut « redescendre » dans le diagramme. Pour cela, il se débarrasse d’un excédent d’énergie et « saute » à l’orbitale inférieure. Cet excédent d’énergie ne disparaît évidemment pas (souvenez vous : l’énergie ne varie pas au cours du temps !), il est converti en lumière. Autrement dit, l’électron crée un photon possédant une énergie très précise au moment où il transite d’une orbitale à une orbitale de plus basse énergie. Ce photon est alors émis dans une direction aléatoire.

Processus d’émission spontanée.
1. Atome dans l’état excité.
2. Transition de l’électron vers une orbitale de plus basse énergie et émission d’un photon.
3. Le photon se propage dans une direction aléatoire et son énergie correspond à l’énergie perdue par l’électron entre les deux orbitales.

 

incandescent_light_bulbNote : c’est le phénomène qui permet aux ampoules (lampes à incandescence) de nous éclairer. Un courant électrique circule dans un filament métallique de tungstène et le chauffe à blanc (l’ampoule, c’est-à-dire la bulle de verre, est sous vide ce qui empêche la combustion du filament, du fait de l’absence de dioxygène). Les atomes ainsi excités émettent de la lumière par émission spontanée. La lumière émise n’est pas monochromatique, car il existe de nombreux niveaux d’énergie, donc de nombreuses transitions possibles. Les photons émis n’ont donc pas la même énergie selon la transition qui leur a donné naissance.

 

– Émission stimulée : L’émission stimulée est un processus très proche de l’émission spontanée. On part de la même situation (un atome dans un état excité), mais cette fois-ci, au lieu d’attendre que l’électron transite tout seul, on imagine qu’un photon de la bonne énergie passe par là. Ce passage va déclencher la transition de l’électron, et il va ainsi émettre son photon, mais pas n’importe comment : le photon émis va être une copie conforme du premier photon qui passait. Il est synchronisé avec lui et se propage dans la même direction. Ces deux caractéristiques sont importantes. Les deux photons sont dans le même état et la lumière se trouve renforcée.

Processus d’émission stimulée.
1. Atome dans l’état excité et arrivée d’un photon ayant la bonne énergie (E2 – E1).
2. Transition de l’électron vers une orbitale de plus basse énergie et émission d’un photon « jumeau ».
3. Le second photon est une parfaite réplique du premier. Il se propage donc dans la même direction, possède la même énergie, et est synchronisé avec lui (ils sont « en phase »).

 

Et si maintenant on cherchait à mettre des millions, des milliards de photons dans le même état ? Comment optimiser le phénomène ? Hé bien le laser est justement le dispositif qui sert à faire cela !

Le dispositif laser.

L’idée est simple : on veut favoriser autant que possible le processus d’émission stimulée. Pour cela, il faut…

1. … des atomes. Ils vont former ce que l’on appelle un milieu amplificateur. Historiquement, le tout premier laser date de 1960, et avait pour milieu amplificateur un cristal de rubis. Mais les dispositifs laser peuvent être extrêmement variés, et le milieu amplificateur peut être un solide, un liquide ou même un gaz. Évidemment, la nature des atomes va jouer sur la lumière émise (la différence d’énergie entre deux orbitales ne va pas être la même).

2. … de l’énergie. Souvenez-vous que les atomes ne doivent pas se trouver dans leur état fondamental (leur état de plus basse énergie), sinon ils ne pourront pas émettre de lumière. Cet apport d’énergie extérieur est appelé pompage. Là encore, les méthodes de pompage sont très variées (décharges électriques, illumination par des flashs lumineux, etc.).

3. … que les photons rencontrent le plus possible d’atomes excités sur leur passage. Pour cela, on aimerait qu’ils restent dans le milieu amplificateur, sauf qu’évidemment, les photons se propageant en ligne droite, ils ne s’amusent pas à faire des détours à l’intérieur. Alors piégeons-les, ces photons : coinçons-les dans le milieu amplificateur à l’aide de deux miroirs qui se font face, de manière à ce qu’ils fassent indéfiniment des allers-retours. Hé bien voilà, on a une cavité laser. Le flux de photons va ne faire que se multiplier à l’identique à l’intérieur : le laser n’est rien d’autre qu’une machine à dupliquer les photons !

4. … laisser quelques-uns de ces photons sortir de la cavité, quand même ! Sinon, nous ne pourrions pas faire grand-chose avec ce faisceau laser. Les photons sont forcés de se propager dans l’axe de la cavité (perpendiculairement aux miroirs), puisqu’ils copient le photon qui a été piégé en premier lieu. Pour qu’ils puissent s’échapper, la solution consiste à se servir d’un miroir partiellement réfléchissant, qui réfléchit un certain pourcentage de photons et laisse passer le reste. Selon les types de laser, on peut trouver des miroirs de cavité réfléchissant la lumière à hauteur de 30%, mais aussi jusqu’à 99%. Dans ce dernier cas, songez que le faisceau est cent fois plus puissant à l’intérieur de la cavité qu’en sortie !

De l’allumage à l’obtention du faisceau en sortie.

Nous avons déjà quasiment tous les éléments pour comprendre le fonctionnement d’un dispositif laser. Mais comment force-t-on les photons à faire ce qu’il faut ? On voit bien que l’étape 3, le piégage des photons dans la cavité, ne se fait pas comme par hasard, si ?

Hé bien… si ! On laisse justement faire le hasard.

Allumer le dispositif, c’est commencer le pompage : les atomes du milieu amplificateur acquièrent cette énergie qu’on leur donne et passent dans l’état excité. À partir de cet instant, les émissions spontanées apparaissent, et les atomes relâchent l’énergie acquise sous forme lumineuse dans n’importe quelle direction. Ces photons peuvent être dupliqués en rencontrant d’autres atomes excités, mais peu importe, ils quittent rapidement le milieu amplificateur et se perdent dans la nature.

 

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En revanche, de temps en temps, par le fait du hasard, un photon est émis dans la bonne direction et se met à rebondir entre les miroirs. Il est alors de plus en plus dupliqué. S’il est perdu, pour diverses raisons (absorption, diffusion, traversée du miroir semi-réfléchissant, etc.), c’est déjà « trop tard » : des centaines, milliers ou plus de photons identiques le remplacent. L’amplification s’auto-entretient et domine tous les autres processus existants. Chaque atome excité a en effet beaucoup plus de chances de copier l’un des innombrables photons du faisceau laser qu’un pauvre photon unique issu d’une émission spontanée. Tout ce qui compte, c’est de continuer à fournir de l’énergie au milieu amplificateur pendant ce temps-là, sans quoi il ne peut plus rien amplifier. L’onde laser, elle, s’établit d’elle-même en moins d’une microseconde !

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Pourquoi avoir voulu fabriquer le laser ?

C’est là la question la plus drôle, parce que la réponse pourrait tenir en trois mots : pour le fun !

Le laser a été fabriqué simplement a un moment où les connaissances et les moyens techniques étaient suffisants pour pouvoir y arriver. On le fait parce qu’on pense pouvoir le faire, donc si on essayait ! C’est le côté exploratoire de la recherche qui est perceptible ici ; réaliser une innovation technologique pour la réaliser. Soyons clairs tout de même : même au-delà de constituer une démonstration expérimentale de l’émission stimulée (décrite par Einstein en 1917), les chercheurs de l’époque ont bien des idées de l’utilité d’un laser, surtout que le maser (dispositif similaire pour les ondes de la gamme micro-ondes) a été mis au point cinq ans plus tôt. Pour le grand public et les auteurs de Science-Fiction, l’idée du laser existe déjà depuis longtemps. Mais malgré tout, le laser ne répond à aucun besoin de l’époque, il est considéré pendant plusieurs années comme rien de plus qu’un jouet. « Nous avons l’habitude d’avoir un problème et de chercher une solution. Dans le cas du laser, nous avons déjà la solution et nous cherchons le problème. » Depuis, des problèmes de natures variées, il en résout un sacré paquet !

L’intérêt du laser est de produire une lumière plus « pure » que la lumière naturelle. Une lumière dite cohérente. Cette cohérence vient justement du fait que les photons qui constituent le faisceau sont des copies conformes les uns des autres, ce qui n’est pas le cas pour des sources naturelles. Mais j’y reviendrai (plus tard !).

Note : les lasers peuvent être extrêmement variés. Le domaine technique qu’ils couvrent est vraiment très très vaste et il pourrait y avoir cinquante articles dessus. Mais le but de cet article-ci est de présenter l’idée de base qui se cache derrière tout laser, l’essentiel.

Couleurs primaires et synthèses des couleurs

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J’ai toujours été fasciné par le nombre de couleurs primaires. Trois. Trois couleurs à mélanger et on obtient du blanc, comme sur le diagramme que tout le monde connaît (ci-dessus). Pourquoi trois ? Je ne comprenais pas très bien. D’un côté, je savais que c’était vrai puisque chaque pixel qui compose un écran est un ensemble de trois sources rouge, verte et bleue.

prisme

Mais de l’autre, l’expérience du prisme de Newton, que tout le monde connaît aussi, me disait que la lumière blanche était constituée de toutes les couleurs du spectre visible à la fois. Et je n’avais pas de raison de douter non plus puisque chaque arc-en-ciel était là pour répéter naturellement l’expérience. Du coup, pourquoi le diagramme n’était pas incomplet ? Pourquoi juste trois couleurs et pourquoi celles-là ? Et puis parfois le jaune, le cyan et le magenta débarquaient dans l’histoire et la confusion ne faisait que s’accroître.

Questions préliminaires.

Pour comprendre, il faut au moins répondre aux questions suivantes :

– Qu’est-ce que la lumière ?
– Qu’est-ce que la couleur ?
– Comment perçoit-on les couleurs ?

La lumière est un concept qui peut vous paraître étrange. Elle est parfois décrite comme étant une « onde électromagnétique », parfois comme un flux de particules appelées « photons ». Ces deux visions sont a priori antagonistes, incompatibles. Et pourtant, la lumière présente les caractéristiques de l’un et de l’autre selon les situations. Elle est un peu des deux. Je ne détaillerai pas plus ce qu’est la lumière dans cet article, je le ferai probablement à l’occasion d’un autre. Retenez simplement que c’est l’aspect « photon » qui nous intéressera ici pour les phénomènes mis en jeu.

Malgré tout, je ne peux pas éluder l’aspect « onde » trop vite, car vous savez probablement que la lumière visible correspond aux longueurs d’onde comprises entre 380 et 780 nm. La longueur d’onde est une quantité caractéristique d’une… onde. Si vous imaginez une onde se propageant à la surface de l’eau, la longueur d’onde est la distance minimale au bout de laquelle on retrouve l’onde identique à elle-même, typiquement la distance entre deux bosses ou deux creux successifs. Vous pouvez aussi vous focaliser sur un point fixe et mesurer en combien de temps une bosse est remplacée par la bosse suivante : vous aurez mesuré la période (temporelle) de l’onde.
Le lien qui unit le caractère « photon » et le caractère « onde » que possède la lumière se retrouve dans ces quantités. Ainsi, il y a une correspondance directe entre la période temporelle de l’onde et l’énergie qu’un photon transporte. Résultat : il est interdit à une onde de changer de période au cours de sa propagation, même si elle passe dans un autre milieu matériel (de l’air à l’eau par exemple). Cela signifierait en effet que l’énergie du photon correspondant change au cours du temps, et cela enfreint le principe de conservation de l’énergie. En revanche, la longueur d’onde est libre d’être modifiée lorsque l’onde passe dans un autre milieu.

Qu’est-ce que la couleur ? À ce stade, rien. La couleur n’a aucune existence physique, elle ne se rattache à rien dans ce qu’est une onde électromagnétique. La couleur est une perception, quelque chose qui émane de l’interprétation par le cerveau de stimuli extérieurs, mais j’y reviendrai.

spectre_visible

Je peux donc identifier deux raccourcis résumés sur le spectre ci-contre. Le premier est de montrer que la lumière est colorée, alors que ça n’est pas une propriété physique de la lumière. Le second est de caractériser la lumière par sa longueur d’onde, alors que la longueur d’onde dépend du milieu de propagation. Pour autant, ces raccourcis sont raisonnables. Mon seul but ici est de dire qu’il vaut mieux oublier momentanément ce type de représentation pour bien comprendre la physique à l’œuvre. Ce qu’il faut retenir, c’est que les différentes composantes de la lumière ne se distinguent donc que par une chose : leur période (si l’on raisonne en terme d’onde) ou leur énergie (si l’on raisonne en terme de photon, ce que l’on privilégiera).

Maintenant, il faut se demander comment fonctionne notre détecteur de lumière, l’œil.

Le processus de détection de lumière, par l’œil.

Je ne détaillerai pas le fonctionnement complet de l’œil ici, seulement sa partie détection, la rétine. La rétine est une membrane qui tapisse le fond de l’œil et qui contient plusieurs types de cellules, les bâtonnets et les cônes. Les bâtonnets comme les cônes sont sensibles à la lumière. Les premiers sont plus nombreux et plus sensibles mais n’entrent pas dans le processus de perception des couleurs, contrairement aux cônes. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous voyons en noir et blanc lorsque la luminosité ambiante est très très faible, les cônes n’étant plus stimulés. C’est la vision scotopique.

sensibilité_cônesLes cônes sont eux-mêmes subdivisés en trois catégories (Ahaaa ! le nombre trois). À chaque type de cône correspond une molécule photosensible différente (une iodopsine), dont l’efficacité d’absorption en fonction de la longueur d’onde est montrée sur le graphique ci-contre. Ce type de spectre est systématiquement donné en fonction de la longueur d’onde, mais il y est sous-entendu que celle-ci correspond à la longueur d’onde dans le vide. Le milieu de propagation étant fixé, l’ambiguïté sur la longueur d’onde est levée : une correspondance directe longueur d’onde – énergie du photon existe alors. Elle est inversement proportionnelle : une lumière de faible longueur d’onde est un flux de photons plus énergétiques.

Bref, si l’on revient au graphique lui-même, les courbes de couleur correspondent aux trois types d’iodopsine et la courbe en pointillés correspond à la rhodopsine qui se trouve dans les bâtonnets.

Chaque fois qu’un photon d’une énergie donnée passe à proximité d’une de ces molécules, celle-ci a une chance plus ou moins grande (donnée par le graphique) d’être modifiée et de finir par déclencher un signal électrique. Ce signal électrique emprunte ensuite le nerf optique et est traité par le cerveau.

Que nous dit ce graphique ?

– Le spectre d’absorption de chaque molécule est très étendu. On ne peut pas réellement dire que chaque type de cône est cantonné à une gamme restreinte d’énergie du photon.
– Les spectres des différentes molécules se recouvrent fortement. Lorsque l’on reçoit de la lumière, excepté si celle-ci correspond aux limites du spectre visible (violet ou rouge), il y a toujours au moins deux types de cônes qui y réagissent.

spectre

Il y a là quelque chose de doublement contre-intuitif. Ne discriminerait-on pas mieux les énergies des différents photons en ayant d’une part, des cônes très sélectifs en énergie et d’autre part, des spectres d’absorption bien séparés les uns des autres ? (voir spectre ci-contre pour 6 molécules hypothétiques distinctes. Les couleurs ne sont là que pour les différencier.)
La réponse peut être oui, mais pour cela il y a un prix à payer : il faut multiplier les types de molécules photosensibles. Le calcul est on ne peut plus simple. Pour couvrir tout le spectre avec des molécules dont la sensibilité s’étale sur 3 nanomètres, il faut déjà 100 types de molécules différents ! Et vous verriez le monde en 100 couleurs [1]. Pour atteindre notre capacité à distinguer des millions de nuances distinctes, il faudrait des millions de molécules correspondantes avec cette nouvelle organisation. Cependant, si nous étions dans ce cas, notre vision serait si mauvaise qu’elle nous serait probablement inutile. Car pour chaque nuance de couleur, l’œil ne pourrait posséder qu’une poignée de molécules spécialisées réparties sur toute la rétine. Notre œil serait saturé en permanence par la lumière reçue et nous serions sans cesse aveuglés.

La Nature a donc choisi l’alternative déjà décrite, à savoir l’utilisation de trois (et seulement trois) types de molécules photosensibles, qui couvrent chacun une large gamme d’énergie, avec des gammes qui se chevauchent.

Traitement de l’information par le cerveau.

Pour résumer la chaîne de cause à effet que nous examinons ici, il y a :

Une source de lumière : Elle émet des photons qui se propagent dans l’espace environnant. Chaque photon a sa propre direction.
Notre œil : Il se trouve sur le chemin de certains de ces photons. Ils pénètrent donc dans l’œil et arrivent sur la rétine. En fonction de l’énergie contenue dans ces photons, ceux-ci ont plus ou moins de chances d’être absorbés par les molécules photosensibles présents dans la rétine. Une fois cette énergie absorbée, la molécule concernée voit son état modifié, ce qui aboutit à l’émission d’un signal électrique.
Notre cerveau : Il reçoit ces signaux électriques et les traite.

Il est donc important de noter que les seules sources d’information du cerveau sont les signaux électriques provenant de l’œil. Ceux-ci sont différenciés. Le cerveau est informé, en chaque point du champ de vision, des niveaux de signal des trois canaux. C’est à partir d’eux que le cerveau interprète une couleur, une perception sensorielle qui traduit l’énergie du flux de photons détecté en amont. Le cerveau compare l’intensité des trois canaux et associe une couleur à chaque mélange possible. Voilà d’où émanent les couleurs que nous percevons !

Schéma1

Le schéma ci-dessus reprend la chaîne d’évènements décrite. Je rappelle qu’à l’exception de la partie « interprétation du cerveau », aucune des couleurs présentes sur ce schéma n’a d’existence physique : les photons ne sont pas cyan, ils possèdent juste une certaine énergie. Cette énergie stimule deux des iodopsines en une certaine proportion, ce qui déclenche deux signaux électriques dont l’intensité conserve ces proportions et qui empruntent deux canaux (que l’on pourrait nommer 1 et 2) du nerf optique. Le cerveau décide qu’à cette proportion de signal entre les canaux 1 et 2 (et 3, qui n’est pas stimulé), il associe la perception de la couleur cyan. La couleur cyan n’existe qu’à ce stade.

Une fois ce mécanisme éclairci, beaucoup de détails divers sur la vue peuvent être compris.

Conséquence de notre mode de vision des couleurs.

Je me focaliserai ici sur une seule conséquence de notre mécanisme de la vision des couleurs, qui à elle seule débouche sur une série de répercussions intéressantes : l’absence d’équivalence entre énergie des photons et couleur.

On l’a vu, pour éviter d’avoir recours à des millions de molécules photosensibles de type différent, la Nature a rusé en en utilisant que trois aux spectres d’absorption larges et redondants. Mais ce faisant, le cerveau peut être trompé, car l’oeil ne peut pas avoir une connaissance absolue de l’énergie transportée par les photons qu’il reçoit : toute une gamme de photons peuvent exciter la iodopsine correspondant au bleu, par exemple. En croisant les informations provenant des trois iodopsines, le cerveau s’y retrouve mais l’information ne pourra tout de même jamais être complète par ce type de méthode.
À partir de maintenant, je vais moi-même utiliser le raccourci qui consiste à associer la couleur perçue au phénomène physique. Ainsi, un « photon bleu » sera un photon transportant l’énergie correspondant à la couleur bleue. D’une manière analogue, une « iodopsine bleue » sera la iodopsine majoritairement sensible aux photons bleus.
Pour se rendre compte des ambiguïtés dans la perception des couleurs, prenons un flux de photons jaunes par exemple. Si l’on regarde les spectres d’absorption, on remarque que la iodopsine rouge est excitée environ deux fois plus efficacement que la iodopsine verte. Donc, envoyer des photons jaunes déclenche un signal électrique qui code pour 2/3 de rouge et 1/3 de vert. Mais qu’est-ce qui empêche d’envoyer un faisceau de photons rouges et verts de telle sorte à retrouver dans le signal final cette proportion 2/3–1/3 ?

synthese_additive

Rien ! Et c’est de cette ambiguïté que naît la synthèse des couleurs telle que nous la connaissons, représentée par le diagramme au début de cet article. Dans un tel diagramme, trois faisceaux de couleurs primaires (rouge, vert et bleu) sont projetés sur un écran blanc qui réémet les photons dans toutes les directions. Tous les photons reçus sont donc des photons rouges, verts ou bleus. Les couleurs jaune, cyan et magenta perçues ne viennent pas de photons jaunes, cyans et magentas. Le blanc central est lui-même une couleur composée de rouge, de vert et de bleu : ce n’est pas à proprement parler de la lumière blanche (composée de tous les photons possibles), mais un blanc.

Finalement, le nombre de couleurs primaires s’explique maintenant aisément : elles sont au nombre de trois parce que le cerveau reçoit des signaux de trois canaux (liées aux iodopsines). Recevoir de la lumière blanche revient à stimuler ces trois canaux dans une certaine proportion, donc envoyer trois types de photons dans les bonnes proportions suffit à retranscrire du blanc. Là où ça se corse, c’est que je ne suis pas convaincu qu’il faille stimuler les iodopsines en proportions égales , vu l’organisation des spectres d’absorption. Autrement dit, le blanc ne correspondrait pas à 1/3 de chaque, ce qui peut paraître étonnant. Néanmoins, je préfère laisser la question ouverte au lieu de me lancer dans des calculs hasardeux…
À la question « pourquoi ces couleurs-là ? », la réponse est : parce que ! Le choix est quasiment arbitraire. Tout ce qu’il faut, c’est trois couleurs (couleur 1, 2 et 3) suffisamment réparties en énergie pour que l’iodopsine bleue puisse absorber le photon 1, la verte le photon 2 et la rouge le photon 3. Les couleurs du diagramme ne sont pas dictées par une loi physique, et assez peu influencées par les propriétés des iodopsines elles-mêmes. Elles sont donc choisies par convention. Il est d’ailleurs à noter que la iodopsine dite « rouge » a son maximum de sensibilité dans le jaune, il n’y a donc vraiment pas de lien direct avec les couleurs primaires !

D’autres points intéressants.

– On peut revenir sur la vision scotopique – notre vision pour des flux très faibles de photons où l’on perd notre capacité à distinguer les couleurs – et comprendre pourquoi elle survient. Dans ces conditions de vision, la lumière qui nous parvient est extrêmement atténuée par rapport à la vision de jour, et l’on passe de flux de milliards de photons par seconde à des flux de quelques dizaines de photons par seconde. Un changement drastique qui montre à quel point l’œil est un détecteur aux performances exceptionnelles, soit dit en passant. Un photon est indivisible : s’il est absorbé, il l’est en totalité. Donc un photon jaune qui arrive sur la rétine est absorbé par la iodopsine bleue ou par la verte, il ne peut pas se partager entre les deux. S’il est tout seul pendant un laps de temps suffisamment long, alors le cerveau a le temps de traiter l’information provenant de l’iodopsine stimulée. Le cerveau interprétera la brève arrivée de lumière comme du bleu pur ou du vert pur selon l’iodopsine qui absorbera le photon, puisque les canaux ne peuvent être stimulés simultanément par un seul photon ! Ce problème n’existe plus lorsque les flux de photons sont suffisants : pendant qu’un photon est absorbé quelque part, d’autres sont simultanément absorbés par d’autres molécules, en des proportions telles que le cerveau y attribue la couleur jaune. Notre processus de vision des couleurs a donc besoin de statistiques. Je pense que lorsque le cerveau reçoit des signaux trop faibles de la part des cônes, il n’en tient tout simplement plus compte et se contente des signaux des bâtonnets, mais cela reste à confirmer.

– De toutes les couleurs que nous sommes capables de percevoir, le magenta est un peu particulier. Avez-vous déjà remarqué qu’il n’appartenait pas au spectre visible ? Vous avez tous les éléments pour comprendre ce qui se passe. Faisons un parallèle avec le jaune.
Si vous regardez le diagramme, vous pourrez constater que le jaune un mélange de rouge et de vert. Si l’on envoie un photon jaune, il excite la iodopsine rouge et la verte mais pas la bleue. De la même manière, le magenta est un mélange de bleu et de rouge, donc un photon magenta doit exciter la iodopsine rouge et la bleue, mais pas la verte. Sauf que si vous regardez les spectres d’absorption, vous pouvez constater que c’est impossible. Le spectre de la iodopsine verte s’intercale entre la bleue et la rouge, impossible donc de stimuler les dernières en évitant la verte. Conclusion : le cerveau peut inventer des couleurs correspondant à des photons qui ne peuvent exister, et le magenta et ses dérivés en font partie. Les « photons magentas », que j’ai pourtant évoqués plus haut dans l’article, n’existent pas ! Ces couleurs ne peuvent correspondre en réalité qu’à des flux mélangés de plusieurs types de photons.

– Vous avez sûrement déjà expérimenté le jeu suivant : vous devez fixer un point dans une image pendant une trentaine de secondes, puis, en détournant les yeux, vous observez l’image en négatif. Cela arrive aussi quand vous êtes aveuglés, avec une tache de couleur persistante dans le champ de vision.
Une fois qu’une molécule a absorbé son photon, elle est indisponible le temps qu’elle déclenche son signal électrique, et que des réactions chimiques additionnelles la régénèrent dans son état initial. Néanmoins, avec plusieurs millions de molécules par mm2, elles ont normalement de quoi se relayer. En fixant très longtemps la même image, ou en regardant une source intense, un déficit d’iodopsines actives apparaît. De nombreux photons qui devraient être absorbés par la suite sont manqués ; les signaux électriques sont inférieurs à ce qu’ils devraient être en temps normal. Le cerveau attribue donc des couleurs erronées aux zones de la vision concernées. Une fois avoir attendu suffisamment de temps pour que les iodopsines reprennent leur forme active, la vision redevient normale. Évidemment, si la source est vraiment trop intense, la rétine peut être endommagée, et là ce n’est plus temporaire !

– Un peu plus anecdotique, il existe une astuce que les astronomes en herbe connaissent pour conserver leur acuité visuelle alors qu’ils doivent consulter des cartes du ciel (ce qui les oblige à s’éclairer). Pour avoir une acuité visuelle maximale permettant de distinguer un maximum d’étoiles la nuit, il faut patienter 45 minutes dans le noir complet. C’est le temps que met la rhodopsine des bâtonnets à se régénérer (toujours la vision scotopique). Au moindre éblouissement (une simple lampe suffit), cette sensibilité est perdue. Cependant, si l’on regarde le spectre de la rhodopsine, on se rend compte qu’elle n’est pas sensible au rouge. Il suffit donc de s’équiper d’une lampe rouge pour pouvoir lire la nuit tout en gardant une acuité maximale.

Les deux synthèses des couleurs

Tout au long de cet article, j’ai montré que les couleurs primaires étaient au nombre de trois et qu’il s’agissait du rouge, du vert et du bleu. Pourtant, toute personne ayant des notions de peinture vous dirait qu’il y en a effectivement trois, mais que ce sont le jaune, le cyan et le magenta. Ils n’ont pas tort ! (Bon, excepté ceux qui confondent cyan et bleu, ainsi que magenta et rouge.) Ils travaillent simplement dans une autre synthèse des couleurs.
Alors je sais, après tous ces efforts pour comprendre et assimiler les notions précédentes qui ont été abordées, la remise en question des couleurs primaires à partir desquelles tout a été basé peut rendre les choses soudainement très confuses. Pas d’inquiétudes, tout va rentrer dans l’ordre !

Jusqu’à présent, je n’ai traité que de ce qui se passe lorsqu’on regarde des sources lumineuses. Une source lumineuse est un élément qui convertit un type d’énergie en énergie lumineuse, elle crée des photons. C’est le cas pour le Soleil, le filament d’une ampoule, une étincelle, un téléviseur ou un objet phosphorescent. Un écran blanc n’est pas une source de photons ; néanmoins, parce qu’il diffuse autour de lui les photons du spectre visible qu’il reçoit quelle que soit leur énergie, il pourra être assimilé comme tel dans le cadre de cet article. Ce n’est pas le cas d’un écran vert par exemple. Pourquoi cette remarque ? Parce qu’elle décrit ce qui se passe sur ce diagramme que nous considérons depuis le début.
Mais il n’y a pas que des sources, nous sommes entourés d’objets colorés aussi, dont l’action sur la lumière est différente. Là où les sources créent des photons, les objets colorés peuvent en absorber tout ou partie, ils les détruisent. Cela ne change rien au processus de la vision, mais si vous devez synthétiser une couleur précise, vous devez vous poser la question de savoir comment vous allez faire si vous disposez de projecteurs (des sources) ou de pigments. C’est la distinction entre deux voies de synthèse des couleurs : la synthèse additive, par les sources, où vous ajoutez des photons et la synthèse soustractive, par les pigments, où vous partez d’une lumière blanche à laquelle vous retirez des photons d’une énergie donnée. Résultat : les couleurs primaires, dont vous vous servez pour recréer toutes les couleurs que vous pouvez percevoir, ne sont pas les mêmes dans les deux cas.

synthese_additive
Synthèse additive
synthese_soustractive
Synthèse soustractive

Ces deux jeux de couleurs primaires sont évidemment liés, puisque la physique est la même dans les deux cas. Il faut toujours regarder les photons qui composent le flux de lumière détecté. On peut penser un peu différemment le diagramme de synthèse additive et en déduire celui de la synthèse soustractive. Au centre, j’ai du blanc, donc la somme du rouge, du vert et du bleu. Depuis le centre, si je quitte le cercle vert (donc si je retire les photons verts), j’arrive sur le magenta. Le magenta est bien une couleur primaire en synthèse soustractive, puisqu’en retirant un seul type de photon du blanc, je peux l’obtenir. Il en va évidemment de même des deux autres couleurs.

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Note :
[1] En fait, ce que je viens de dire est faux. Voyez-vous pourquoi ? Il manquerait juste un mot pour que ça devienne juste, mais je l’ai éludé pour des questions de simplicité. La suite de l’article approfondit la question. (retour au texte)