Français, savez-vous comment fonctionne une centrale nucléaire ?

J’adore Youtube pour sa faculté à apporter du contenu intéressant à l’utilisateur qui s’y balade, même lorsqu’il ne recherche rien en particulier. Ce ne sera probablement pas la dernière fois que je renvoie un lien vers une vidéo, puisque je suis un petit nombre de chaînes Youtube de vulgarisation de qualité, à mon humble opinion. Pour cet article, c’est cependant la diffusion d’un débat sur le nucléaire qui a retenu mon attention (disponible ici). Je trouve le débat particulièrement intéressant, puisqu’on peut y entendre par exemple d’un avis unanime que les discussions politiques sur les énergies se perdent dans des tabous, en ce qui concerne le nucléaire. Le passage qui m’a donné envie d’écrire cet article est le suivant (à 6min45) :

« Jean-Marc Jancovici – Une des choses que l’on arrive pas à faire [en France], c’est de commencer par poser l’objet du débat. Vous ne voyez nulle part « le nucléaire, c’est quoi ? ». Si vous demandez aux Français de vous expliquer comment fonctionne une centrale nucléaire, je pense que vous allez trouver entre 1 et 5% qui sont capables de vous donner… [interrompu]

Animatrice – Oui mais ça c’est normal, non ? […] Vous ne pouvez pas demander aux Français de connaître le fonctionnement d’une centrale, si ?

JMJ – Espérer avoir un avis informé sur quelque chose dont vous ne comprenez pas le fonctionnement, c’est quand même ennuyeux, quelque part. »

Difficile quand même de donner tort à Jean-Marc Jancovici sur ce point.

Il suffit de regarder la vidéo pour se rendre compte que l’animatrice n’est pas dans l’attaque, ses questions ne sont pas faites pour provoquer comme pourrait peut-être le faire croire la transcription écrite. En revanche, elles témoignent en filigrane de cette idée reçue que le commun des mortels ne peut rien comprendre du fonctionnement d’un équipement technologique, comme si c’était peine perdue. J’insiste : ne peut rien comprendre. C’est nier qu’il existe des niveaux de compréhension pour n’importe quel type de sujet. On ne peut en revanche pas TOUT comprendre, parce qu’on peut se poser mille questions avec un niveau de détail infini. Il faut donc faire le tri et retenir l’essentiel.
Et justement, quand on voit l’essentiel, on se rend compte que non seulement, on peut demander aux Français de connaître le fonctionnement d’une centrale nucléaire, mais ce dès l’âge de 10 ans.
Alors quelques explications…

Niveau de compréhension 1 : de l’énergie nucléaire à l’énergie électrique.

(J’ai déjà consacré un article sur la notion d’énergie et ses différentes formes.)
Une centrale nucléaire se sert d’une réaction nucléaire pour faire bouillir de l’eau et entraîner une turbine à l’aide de la vapeur produite. Comme la turbine est associée à un alternateur (un aimant qui tourne devant une bobine métallique), on en tire de l’électricité. Voilà voilà.
Non, sérieusement, c’est fini. Des questions restent en suspens, mais au niveau du mode de production de l’énergie électrique, c’est déjà l’essentiel. Et le meilleur, c’est que si vous vous demandez comment fonctionne une centrale à charbon, à gaz, à fioul, c’est le même principe. On chauffe de l’eau, on met une turbine et un alternateur, et c’est tout. Et encore un bonus : pour un barrage hydraulique, on ouvre les vannes et l’eau, dans sa chute, entraîne directement la turbine. On vient de comprendre comment on exploite la fission nucléaire, les énergies fossiles et l’énergie cinétique de l’eau. D’une pierre trois coups !

Niveau de compréhension 2 : localiser les déchets produits.

Allons à peine plus loin pour comprendre où peuvent se trouver les déchets. Regardons comment la chaîne de transformation de l’énergie est structurée dans une centrale nucléaire :

fonctionnement_centrale_nucleaire
Schéma de fonctionnement d’une centrale nucléaire.

Vous voyez trois circuits d’eau (rose, bleu foncé et bleu ciel).
Le circuit primaire (rose) contient de l’eau elle-même directement en contact avec le combustible nucléaire. Les réactions de fission nucléaire la chauffent à environ 300°C, mais les hautes pressions permettent de garder cette eau sous forme liquide (Pourquoi ? Me direz-vous. Article à venir !). Cette eau contient des éléments radioactifs issus des réactions nucléaires. J’y reviendrai.
Le circuit secondaire (bleu foncé) est celui qui va permettre l’entraînement des turbines. L’eau est chauffée en la mettant en contact avec les tuyaux du circuit primaire. Comme ce circuit n’est pas sous pression, cette eau bout, s’évapore et la vapeur passe dans les turbines qui se mettent à tourner et produire l’électricité. La vapeur continue son chemin et est mise en contact avec les tuyaux du circuit de refroidissement, pour repasser à l’état liquide et boucler le cycle.
Le circuit de refroidissement fait circuler de l’eau froide issue d’une source naturelle, comme un cours d’eau par exemple. La vapeur qui résulte du contact avec le circuit secondaire est évacuée par la tour de refroidissement (les fameuses cheminées gigantesques des centrales nucléaires).

Deux points sont très importants :

1. Les trois circuits ne communiquent pas entre eux. Il n’y a jamais d’échange d’eau, juste de chaleur (une eau chauffe des tuyaux, qui chauffent à leur tour l’eau d’un autre circuit).

2. L’eau du circuit primaire n’est PAS radioactive ! Je clarifie ici un abus de langage, qui peut amener à des idées reçues. L’eau du circuit primaire est nocive car elle contient des éléments radioactifs, mais les molécules d’eau ne deviennent pas radioactives. Si vous filtrez cette eau, elle n’aura rien de particulier, elle sera potable. La radioactivité ne se transmet pas, elle ne contamine pas. Dire qu’une zone est contaminée, c’est dire que des éléments radioactifs s’y trouvent, pas que de la matière non radioactive est devenue radioactive !
Conséquence : les déchets radioactifs se trouvent dans le circuit primaire et lui seul. Le circuit secondaire n’est jamais radioactif, puisqu’il n’échange pas d’eau avec le circuit primaire. Si une fuite survient, il suffit de purger l’eau du circuit secondaire, qui, je le rappelle, n’est pas en contact avec l’environnement.
Les déchets radioactifs sont alors filtrés et stockés sous forme solide, par vitrification (c’est-à-dire piégeage dans du verre) . Les rejets de gaz à effet de serre lors du fonctionnement sont quasi-nuls [1].

J’en profite pour continuer le parallèle avec les centrales thermiques, qui ressemblent à ceci :

schéma centrale thermique à flamme
Schéma de fonctionnement d’une centrale thermique.

Même principe donc, sauf que le circuit primaire a disparu, puisque l’eau n’a pas besoin d’être en contact direct avec ce qui est brûlé (charbon, gaz, fioul).
La seule différence de taille est le rôle de la cheminée : ici, elle évacue les résidus volatiles de la combustion, donc les déchets, c’est-à-dire les gaz à effet de serre (CO2 en tête) directement dans l’atmosphère. Autrement dit, la cheminée est à raison le symbole même de la pollution pour ces centrales thermiques, mais est tout l’inverse pour une centrale nucléaire.

Niveau de compréhension 3 : source de l’énergie et nature des déchets.

L’énergie nucléaire, la radioactivité, qu’est-ce que c’est ? J’y consacrerai probablement un article plus détaillé, mais l’idée est la suivante :
L’atome est composé d’un noyau de protons et de neutrons entourés d’électrons. Des liaisons fortes, très énergétiques, existent entre les constituants du noyau pour maintenir sa cohésion. Si l’on parvient à rompre le noyau, on peut libérer cette énergie nucléaire (= qui provient du noyau). Cependant, la plupart des atomes sont stables et ne vont pas rompre facilement. Il est donc plus simple d’aller chercher du côté des atomes instables.
Un atome instable n’est… pas stable : cela veut dire que même si on le laisse seul, il va finir par se transformer en un autre atome. Pour cela, il va généralement émettre un atome d’hélium (qu’on appelle dans ce contexte particule  \alpha (alpha)), un électron (particule  \beta (bêta)) ou un rayonnement  \gamma (gamma), d’où les trois types de radioactivité du même nom. L’atome d’uranium 235 est un atome instable et très massif, mais plutôt que de le laisser se désintégrer tout seul, on lui donne un petit coup de pouce. En envoyant un neutron lent, il l’absorbe et cela le perturbe énormément : il se scinde en deux gros atomes, un de baryum et un de krypton, et libère trois neutrons rapides ainsi qu’une énorme quantité d’énergie qui va chauffer le milieu environnant (l’eau du circuit primaire).

Schéma de la fission nucléaire de l’uranium 235.
À l’arrivée d’un neutron sur le noyau d’uranium, celui-ci se scinde pour former un noyau de baryum et un noyau de krypton, ainsi que trois neutrons libres. Une importante quantité d’énergie est alors libérée.

Ralentis par l’eau, les trois neutrons peuvent à leur tour rencontrer d’autres atomes d’uranium et déclencher leur fission. On a ainsi une réaction en chaîne. Avec une quantité suffisante d’uranium 235, et si l’on ne faisait rien d’autre, la réaction s’emballerait ; dans une bombe, c’est l’effet recherché. Mais certains matériaux captent facilement les neutrons solitaires, ce qui permet de réguler la réaction. On peut ainsi régler en temps réel la vitesse de réaction en insérant plus ou moins ces barres de contrôle entre les tiges d’uranium, et donc libérer plus ou moins d’énergie selon la demande du réseau électrique. Le rendement est sans commune mesure : 1 gramme d’uranium libère à peu près autant d’énergie que la combustion d’1 tonne de charbon ! On a donc un système qui est grosso modo un million de fois plus efficace.
Les déchets nucléaires sont les résidus de la réaction ou de désintégrations secondaires, ou d’autres choses encore, comme de l’uranium 236 (un uranium qui a absorbé un neutron mais ne s’est pas scindé, ce qui peut arriver). La plupart de ces déchets sont radioactifs, certains très fortement. Une partie de ces déchets constitue une pile de « déchets ultimes », c’est-à-dire dont on ne sait qu’en faire, et donc que l’on cherche à stocker ou enfouir. Certains éléments restent actifs durant une trentaine d’années, d’autres peuvent dépasser le million d’années d’activité.
Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que la notion de déchet est une notion subjective et pas définitive. Si vous trouvez un moyen d’exploiter ce qui était considéré comme un déchet, ce n’en est plus un. C’est le but recherché ici. Par exemple, les centrales telles que je les ai présentées produisent inévitablement du plutonium 239. Ce dernier ne constitue pas à proprement parler un déchet nucléaire, puisque mélangé à de l’uranium 238, il donne un combustible baptisé MOX qui peut être exploité dans des centrales spécialisées. Une partie des déchets nucléaires est ainsi « recyclée ». Je vous invite aussi à vous renseigner sur le prototype de réacteur nucléaire « Superphénix », fer de lance du nucléaire français dans les années 1980, dont le principe était de pouvoir transmuter les déchets hautement radioactifs générés. Ce réacteur a cependant été arrêté du fait de pressions politiques.

 

Pour conclure, j’espère vous avoir fourni des clés importantes pour avoir une meilleure compréhension du nucléaire. Et bien que je ne cherche pas à créer le débat dans cet article précis, l’objet du débat, lui, est posé !

 

Note :
[1] (retour au texte) On pourra me rétorquer, à raison, que la vapeur d’eau est un gaz à effet de serre (même si elle est loin d’être l’espèce chimique la plus efficace en la matière). Cependant, il est évident que la vapeur d’eau est extrêmement abondante dans l’atmosphère terrestre, donc que ces rejets dus à l’activité humaine ne sont pas vraiment significatifs. De plus, la durée de séjour de la vapeur d’eau dans l’atmosphère est de trois jours en moyenne. Pour le dioxyde de carbone CO2, l’activité humaine augmente drastiquement sa concentration dans l’atmosphère (et cela va en s’accélérant), et sa durée de séjour dans l’atmosphère est d’un siècle ! C’est une autre paire de manches… 

Qu’est-ce que l’énergie ?

L’énergie. C’est un concept omniprésent, assez insaisissable, mais central en physique. Et étonnamment, il n’est pas simple du tout d’en donner une définition de but en blanc. J’ai donc décidé de faire un petit tour sur quelques dictionnaires d’Internet pour voir ce qu’ils en disent, en éliminant les définitions inapplicables en sciences :

– Grandeur, dont l’unité est le joule, qui caractérise un système et qui exprime sa capacité à modifier l’état d’autres systèmes en interaction avec lui.
– Chacun des modes que peut présenter un tel système (énergie cinétique, énergie mécanique, énergie thermique,…).
– Grandeur caractérisant un système physique, gardant la même valeur au cours de toutes les transformations internes du système (loi de conservation) et exprimant sa capacité à modifier l’état d’autres systèmes avec lesquels il entre en interaction. (Unité SI le joule.)

De mémoire, j’avais aussi lu que l’énergie était la « capacité d’un corps à fournir du travail ». Le travail en physique correspondant à un transfert d’énergie, pas sûr que cette définition aide vraiment à comprendre !

Voici celle que je proposerais, pour l’instant incomplète :

L’énergie est une grandeur physique dont l’unité est le joule (J). Quelle que soit la nature du système physique à l’étude, il est toujours possible d’en dégager une expression mathématique homogène à une énergie.

« Homogène à » signifie « qui possède la même unité que ». Ma définition vous déçoit peut-être, car vous la considérez peut-être toujours aussi abstraite – sinon plus ! – que les autres. La raison en est que le concept même d’énergie est un concept abstrait, alors même que le terme « énergie » est omniprésent au quotidien et si utilisé que chacun semble y saisir un sens concret ! Mais il suffit de se pencher sur la question de sa définition pour que le terme devienne justement insaisissable tant il est flou. Et j’ai inclus dans ma définition la source de cette indétermination : l’énergie est une quantité qui émane du calcul !
Cette quantité possède deux caractéristiques, indispensables pour la reconnaître. La première est son unité, qui est toujours le joule. J’aborderai la seconde, l’invariance au cours du temps, un peu plus tard et cela me permettra de compléter ma définition.

Plusieurs formes d’énergie.

Un point important de la définition que je propose est que, puisqu’il est possible de calculer une énergie pour n’importe quel système physique, tout système physique possède une énergie. Cela n’empêche pas que le type de cette énergie, son expression mathématique, diffère d’un système à l’autre selon la nature de ce système : une pile et un objet en mouvement possèdent chacun une certaine quantité d’énergie, mais pas du même type. D’où le fait que le concept d’énergie n’a aucune signification que l’on peut rendre plus concrète ; il se décline en fait en de nombreux types d’énergie distincts. Je les ai regroupés en trois grandes catégories.

Énergies au sens physique.
Ce sont les différentes notions d’énergie directement utilisées par le physicien.

Énergie cinétique : énergie que possède un objet du fait de son mouvement.
Énergie thermique : énergie que possède un objet du fait de sa température. La température est une mesure du degré d’agitation qui règne au niveau nanoscopique. Elle est donc elle aussi en toute rigueur une énergie cinétique. Cependant, elle possède un statut particulier qui justifie de la considérer comme un type d’énergie à part entière : la conversion d’une énergie quelconque en énergie thermique est irréversible, contrairement à d’autres types de conversion.
Énergie chimique : énergie impliquée dans les liaisons chimiques des molécules.
Énergie gravitationnelle : énergie contenue dans les déformations de l’espace-temps. Ces déformations peuvent se propager, elles forment des ondes gravitationnelles que nous essayons actuellement de détecter pour en confirmer l’existence.
Énergie potentielle : c’est un concept un peu plus délicat que les autres. C’est l’énergie qui peut être potentiellement échangée entre le système à l’étude et son environnement. Par exemple, je peux tenir une balle dans la main à une certaine hauteur. La balle peut donc potentiellement tomber, et l’attraction terrestre lui fournir de l’énergie au cours de sa chute. Le simple fait de tenir une balle dans un champ gravitationnel fait qu’elle possède une énergie potentielle, qu’elle pourra convertir (ici en énergie cinétique) si on la laisse évoluer dans ce champ. Dans cet exemple, l’énergie potentielle décrite est l’énergie potentielle de pesanteur. Il existe d’autres types d’énergie potentielle.
Énergie électromagnétique : énergie que possède tout champ électrique ou magnétique.
Énergie nucléaire : énergie impliquée dans les liaisons responsables de la cohésion du noyau atomique.
Énergie noire (ou sombre) : c’est une énergie hypothétique distribuée dans l’univers, dont l’origine n’est pas encore connue, que les chercheurs ont introduit pour chercher à expliquer l’accélération de l’expansion de l’univers. C’est un sujet de recherche central en astrophysique.

Énergies au sens usuel.
Ce sont diverses dénominations qui renseignent sur l’origine et les moyens d’exploitation de l’énergie dont on parle.

Énergie éolienne : énergie provenant du vent, donc de masses d’air en mouvement. C’est donc une énergie cinétique.
Énergie fossile : énergie tirée de la combustion des hydrocarbures du sous-sol. C’est donc une énergie chimique.
Énergie géothermique : énergie tirée de la température élevée du sol du fait de la radioactivité naturelle et des activités volcaniques. C’est donc une énergie thermique.
Énergie houlomotrice : énergie tirée de la houle, c’est-à-dire de vagues se propageant à la surface de la mer. C’est une énergie cinétique.
Énergie hydraulique : énergie tirée d’un écoulement d’eau. C’est une énergie cinétique.
Énergie marémotrice : énergie tirée des marées. C’est une énergie cinétique.
Énergie solaire : énergie tirée de la lumière du Soleil. C’est une énergie électromagnétique.
Énergie électrique : énergie tirée d’un courant électrique, c’est-à-dire d’un mouvement d’électrons. C’est une énergie cinétique.

Énergies au sens politique.
Ce sont des catégories d’énergie, qui regroupent les énergies déjà évoquées selon des enjeux sociétaux. Au niveau des sources utilisées, la majorité des liens Wikipédia résulte du fait que j’y ai trouvé les définitions les plus fiables et les mieux formulées à mon humble avis.

Énergie renouvelable : désigne une forme d’énergie dont la ressource ne s’épuise pas sur une échelle de temps humaine. (source 1, source 2)
Énergie propre (ou verte) : désigne une forme d’énergie dont l’impact sur l’environnement est faible. (source 1source 2)
Énergie durable : énergie capable de répondre aux besoins du moment présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins. (source)
Énergie primaire : désigne une forme d’énergie disponible dans la nature avant toute transformation. (source)
Énergie finale : énergie au stade final de la chaîne de transformation de l’énergie, c’est-à-dire au stade de son utilisation par le consommateur final. (source)

Utilité d’une quantité invariante.

Qu’est-ce qui intéresse tant le physicien dans le concept d’énergie ? La raison, c’est son invariance au cours du temps. Si vous étudiez un système isolé, c’est-à-dire qui n’influence pas et n’est pas influencé par son environnement, vous savez que son énergie totale ne varie pas, quoiqu’il arrive. Analyser un problème physique du point de vue des énergies permet parfois d’emprunter des raccourcis qui évitent un traitement complexe de la situation.
Mais revenons au caractère invariant, en quoi est-ce si intéressant ? Dans beaucoup de phénomènes physiques, on observe l’évolution d’un système depuis un état initial jusqu’à un état final. Si l’on connaît les mécanismes physiques qui interviennent dans cette transition, on peut envisager de mener l’étude de façon directe, mais cela ne garantit pas qu’elle sera simple. On peut souvent se heurter à des difficultés techniques, comme une grande complexité mathématique. Cependant, si l’on a identifié une quantité physique invariante, c’est-à-dire n’ayant pas changé de valeur entre les états initial et final, on peut déduire l’état final (ou pourquoi pas, l’état initial) de l’état initial (respectivement final) sans forcément passer par toute l’étude intermédiaire.
Prenons deux exemples. Le premier sera simplissime juste pour illustrer l’idée, le second montrera un peu plus l’apport de la démarche.

Prenez un verre dans lequel vous versez un peu de sirop de menthe, suivi d’un peu d’eau. Le mélange aura une couleur verte foncée, le goût de menthe sera fort. Si vous rajoutez de l’eau, le mélange s’éclaircit et le goût sera moins prononcé. Ce sont les conséquences d’une dilution : la concentration en menthe aura diminuée. Cette concentration est mesurable, comment prédire sa valeur pour un volume d’eau ajouté donné ? Dire que la concentration est divisée par deux quand on double la quantité d’eau n’est pas vrai ! Mais peu importe la loi empirique, elle doit bien avoir une origine.
En fait, il suffit de penser aux molécules de sirop dans le verre. Quand on ajoute de l’eau, que se passe-t-il ? Pas grand chose ! Elles se répartissent simplement dans tout le volume de liquide. Leur nombre ne varie pas au cours de l’expérience. Donc en appelant les états initial et final, les états 1 et 2, ainsi que N le nombre de molécules de sirop, je dis

N_1 = N_2.

Ensuite, par définition, je sais que la concentration est le nombre de molécules par unité de volume, c = \frac{N}{V}. J’en déduis la relation :

c_1 V_{tot, 1} = c_2 V_{tot, 2}.

Schéma1
Crédit : Bénédicte Coudière

C’est la loi de dilution. Vous voyez que, sans trop se poser de questions, elle découle simplement du fait que dans toute dilution, le nombre de molécules d’une espèce chimique donnée est un invariant.
Et si il y avait eu une réaction chimique ? La relation précédente n’aurait plus été vraie, mais le nombre d’atomes de chaque type impliqué dans la réaction (de l’hydrogène, du carbone, etc.) aurait toujours été conservé, ce qui permet toujours de dire des choses.
Et si il y avait eu une réaction nucléaire ? Les invariants précédents n’auraient plus été invariants, mais l’énergie totale, le nombre total de charges électriques et d’autres quantités seraient toujours restées invariantes ! Et ainsi de suite. En allant vers des phénomènes de plus en plus complexes, les quantités qui y demeurent invariantes peuvent être de plus en plus subtiles, mais elles existent et fournissent leur lot d’informations.

Prenez deux objets que vous faites se percuter. On ne s’intéresse qu’à la collision pure et rien d’autre, en oubliant toute influence de l’environnement. Pour que la situation physique soit encore plus simple, on va dire que ces deux objets sont astreints à se déplacer le long d’un axe (par exemple, à l’intérieur d’un tube) et qu’ils ne peuvent pas tourner sur eux-mêmes. Les mouvements, de même que l’étude mathématique, qui vont en résulter seront simples.
On va de plus supposer que l’un des deux objets sera plus massif que l’autre pour les distinguer. Pour l’objet massif, on notera toutes les quantités physiques qui le concernent avec une majuscule : son énergie cinétique E, sa quantité de mouvement P, sa masse M et sa vitesse V. Pour l’objet moins massif, ce sera respectivement e, p, m et v. Qu’est-ce que la quantité de mouvement P ? C’est simplement le produit de la masse par la vitesse P = MV. Il se trouve que c’est aussi une quantité invariante.
L’énergie cinétique E vaut \frac{1}{2}MV^2.
Quand chacun de ces deux objets se déplacent indépendamment, ils constituent deux systèmes isolés indépendants : l’énergie que chacun possède, purement cinétique, ne peut pas changer. Ils se déplacent donc perpétuellement, à vitesse constante, dans une direction donnée. Au moment d’une collision, ce n’est plus le cas. Les deux systèmes ne sont plus isolés puisque justement, il se produit quelque chose entre eux : la collision elle-même. Un transfert d’énergie (et de quantité de mouvement) de l’un des objets à l’autre peut s’opérer. En revanche, l’ensemble des deux objets est toujours un système isolé, donc l’énergie totale du système, ainsi que sa quantité de mouvement totale, n’ont pas eu le droit de changer. Schéma2Et on peut tirer parti de ce fait pour prédire les états de mouvement des deux objets après le choc en fonction de la situation avant le choc.
En rajoutant un indice i pour initial et f pour final, le bilan d’énergie totale s’écrit

E_i + e_i = E_f + e_f

donc

\frac{1}{2}MV_i^2+\frac{1}{2}mv_i^2=\frac{1}{2}MV_f^2+\frac{1}{2}mv_f^2.

Celui de la quantité de mouvement totale s’écrit

P_i + p_i = P_f + p_f

soit

MV_i + mv_i = MV_f + mv_f.

Après un peu de reformulation mathématique, on peut aboutir à

V_f = V_i + \frac{2m}{m+M}(v_i - V_i)

v_f = v_i - \frac{2M}{m+M}(v_i - V_i).

Ainsi, connaissant les masses des deux objets, la connaissance de leurs vitesses initiales respectives suffit pour prédire leur mouvement futur. Remarquez que vous n’avez même pas à décrire le processus de collision (bien que cela soit dû au fait que la situation physique est très simple) ! En effet, une collision, ce n’est pas forcément le contact physique entre deux objets tel que vous pouvez l’imaginer, comme deux billes qui s’entrechoquent. Si vous envoyez deux particules chargées qui se repoussent l’une sur l’autre, elles se dévieront mutuellement sans contact, juste par l’intermédiaire de leur champ électrique. C’est pourtant une collision. Ici, le résultat ne dépend pas de la nature de la collision. Qu’elle provienne d’un contact direct, d’une répulsion électrique, d’une répulsion magnétique ou autre, le résultat sera toujours le même à la fin.

Note : pourquoi avoir montré quelques équations ? La raison principale est que je préfère ne pas les dissimuler. Les mathématiques sont l’outil du physicien et ce qui précède montre comment il s’en sert, expose la démarche qui va avec. D’abord, on formule le problème en termes mathématiques. Puis, on le résout (c’est cette partie qui demande une réelle expertise mathématique, et qui n’a pas forcément d’intérêt à être montrée). Enfin, on questionne le résultat, d’où on peut extraire toutes sortes d’informations.
Une autre raison, spécifique à ce sujet, est que, au prix de petites manipulations mathématiques, le lecteur peut lui-même utiliser le résultat pour s’amuser (si si, pourquoi pas ?). Mettons que vous ayez deux boules de billard de masse m et M. Si vous en frappez une pour percuter l’autre de front (en visant centre à centre donc, pour ne pas percuter de côté), vous pourrez appliquer les formules que j’ai écrites. Quelle vitesse doit avoir la première boule pour qu’après la collision, elle soit immédiatement immobile ? Personnellement, c’est une question que je m’étais toujours posée en observant ce type de choc. Avec ces formules, vous pouvez trouver les conditions pour lesquelles cela survient ! Et la réponse vous surprendra peut-être. Vous pouvez aussi chercher les conditions pour obtenir des vitesses opposées, etc.

Une définition de l’énergie.

L’unité seule ne suffit pas à reconnaître une quantité comme étant une énergie : si je divisais une masse par un temps, obtiendrais-je une « vitesse de masse » ? Non, j’obtiendrais une quantité dont l’unité est le kg.s-1, mais qui n’a pas forcément de sens. Il ne suffit pas de mélanger des quantités donnant des joules, pour obtenir une énergie. Il faut trouver, dans les équations qui régissent le système, la quantité invariante au cours du temps qui correspond.

Je complète donc la définition que j’ai proposée :

L’énergie est une grandeur physique dont l’unité est le joule (J). Quelle que soit la nature du système physique à l’étude, il est toujours possible d’en dégager une expression mathématique homogène à une énergie. Pour un système isolé, cette grandeur se conserve au cours du temps.