De ce qui est magique et de ce qui ne l’est pas

J’écris cet article pour partager une vision très personnelle de ma discipline, la physique, pour la mettre en perspective et expliquer en partie pourquoi elle me fascine. Et pour cela, je vais parler de magie.

De magie ?

Oui, de magie. Et je ne parle pas de prestidigitation, je parle de la « vraie » Magie, celle des super-héros, des mages, bref, de tout ce qui peut exister dans un livre fantastique. Que se passerait-il si, par exemple, des capacités de télékinésie apparaissaient chez certains individus ? En fait, avant ça, on pourrait déjà s’intéresser à un personnage présentant cette faculté, dans un film ou un roman.

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Pensez à Luke Skywalker sur la planète Dagobah, en compagnie de Yoda, en plein entraînement pour maîtriser la Force ! Rappelez-vous, quand il parvient à faire léviter les pierres tout en faisant le poirier. Vous souvenez-vous, peu après, qu’il échoue à extraire grâce à la Force son vaisseau qui sombre dans les marécages ? Cela ne choquera personne : Luke n’est pas assez entraîné pour faire léviter d’aussi gros objets, voilà tout. C’est normal.

C’est normal ? Pourquoi ce serait normal ? Pourquoi cela vous paraîtrait normal ? Nous parlons de Magie, de quelque chose qui échappe aux lois physiques. Pourtant, au-delà de rendre l’action intéressante – si le personnage est d’emblée tout puissant, ce serait assez ennuyeux –, cela paraît naturel. Un effet plus important demande des efforts plus importants de la part du personnage qui utilise sa magie. Autrement dit, vous n’accepteriez pas que le personnage puisse faire comme bon lui semblerait, vous lui imposez une loi. Vous contraignez la Magie à obéir à un principe, que vous ne connaissez pas en détail, mais qui est présent. Mais je vous vois venir ! Et si, par esprit de contradiction, vous accepteriez au contraire que le personnage puisse déplacer une pierre, un immeuble ou une planète sans que cela ne lui coûte d’effort supplémentaire ? Hé bien vous imposeriez aussi une loi à sa Magie ! En fait, vous êtes cernés. Quoi que vous pensiez, vous formulerez une loi implicite à laquelle la Magie ne peut échapper. Un pouvoir donnant un résultat aléatoire est encore un principe, pas une absence de principe !

Tout ça pour dire quoi ? Tout ça pour dire que, même pour quelque chose d’aussi « exotique » que la Magie, celle-ci ne serait pas dénuée d’une structure. En effet, si le concept même de Magie ne reposait sur aucune structure, nous ne pourrions même pas l’imaginer, donc nous parlerions d’autre chose que de Magie ! Conséquence : nous ne serions pas si désemparés que ça devant les phénomènes magiques, et ils n’auraient pas un caractère impénétrable.
Imaginons que demain, un pouvoir de télékinésie se manifeste parmi la population. Qu’est-ce qui empêcherait des curieux de mesurer la capacité télékinésique maximale d’une personne en lui faisant soulever des objets de plus en plus lourds par la pensée ? À supposer que cela demanderait de plus en plus d’efforts au pratiquant, on pourrait ainsi attribuer un niveau de « force mentale » à chacun, notion floue mais quantitative. Puis, on pourrait peut-être déceler des points communs chez les personnes les plus douées. Peut-être que leur caractère partagerait telle ou telle similitude, ou leur ADN, ou leur électroencéphalogramme, ou peut-être pas ! Mais la réponse à nombre de questions pourrait être éprouvée, et par conséquent, nous assisterions aux balbutiements d’une nouvelle science ! Parce qu’elle serait toute nouvelle, il lui faudrait manipuler dans un premier temps des notions pas forcément bien définies, mais à mesure que les scientifiques de la Magique gagneraient en compréhension, ces notions se verraient reprécisées, reformulées de manière à chasser toute ambiguïté. En mécanique par exemple, les notions de force, de vitesse ou d’inertie étaient plutôt confuses avant l’arrivée de Newton.
Arrivée à un certain stade de développement, un lien entre la Magique et la Physique pourrait être découvert, réunifiant les deux sciences, ou au contraire, démontrant qu’elles ne peuvent pas se combiner, auquel cas elles resteraient deux sciences parallèles aux domaines bien délimités.

Ça, c’était pour aller de la Magie aux Sciences. Pour moi, il n’y a pas de doute que l’apparition de phénomènes magiques (qui a dit que les scientifiques étaient désespérément terre-à-terre ? Détrompez-vous, c’est tout l’inverse !) ne fournirait rien d’autre qu’un tout nouveau terrain d’exploration pour l’investigation scientifique.
Maintenant, allons de la Physique à la Magie.

Le pourquoi ou le comment ?

La physique ne répond jamais à la question du pourquoi, mais cherche toujours à répondre à la question du comment. La raison en est qu’elle permet d’étudier et d’établir des liens entre diverses notions définies, mais pas l’origine de ces définitions. Il est toujours nécessaire de se baser sur des postulats qui ne peuvent pas être démontrés. S’ils le sont, cela ne peut être qu’à partir de postulats encore plus fondamentaux.

Quand deux particules chargées sont mises côte à côte, elles s’attirent ou se repoussent selon qu’elles sont de signes opposés ou identiques. Chaque particule exerce donc une force F sur sa voisine. Mais comment est-ce possible ? Comment une particule peut-elle savoir qu’une autre se trouve à proximité d’elle et qu’elle « doive » subir effectivement cette force ? La Magie n’est pas encore tout-à-fait là. Par facilité, on pourrait considérer que la matière est consciente et le problème se résout de lui-même. Ou alors, on peut envisager qu’une charge électrique seule crée quelque chose autour d’elle, dans l’espace environnant, et qu’en plaçant une autre charge dans ce quelque chose, cette dernière subisse une force. Ce quelque chose, baptisons-le champ électrique.
La force électromagnétique qui s’exerce sur la particule 1 du fait de la présence de l’autre s’écrit

F = K \frac{q_1 q_2}{d^2},

Schéma1
Effet de la présence de la particule 2 sur la particule 1. Un effet analogue de la particule 1 sur la 2 existe, mais le champ et la force correspondante ne sont pas représentés.

avec K une constante, q_1 et q_2 les charges de chaque particule et d la distance entre elles.
On remarque que cette formule ne nous interdit pas de rassembler d’un côté des termes ne dépendant que de la particule 2, et de ne laisser de l’autre que la charge électrique de la particule 1. On peut ainsi faire apparaître une quantité que l’on appelle le champ électrique E, ici créé par la particule 2 :

F = q_1 E_2.

Écrire la force ainsi ne démontre pas la réalité physique du champ électrique. Ça n’est pour l’instant qu’un artifice de calcul. Néanmoins, les mathématiques n’interdisent pas cette formulation, ce qui est déjà quelque chose !
Ce qui démontre la réalité du champ électrique (et du champ magnétique par la même occasion), c’est l’existence de la lumière. À partir d’une charge électrique que je mets en mouvement à vitesse constante, je peux générer un champ magnétique. Si j’accélère cette charge électrique, c’est-à-dire si je change cette vitesse, les champs électrique et magnétique varient ensemble, et il se produit quelque chose de remarquable : la variation de chacun des champs génère l’autre ! Autrement dit, le champ électrique qui évolue donne naissance, lui-même, à un champ magnétique qui évolue aussi, et celui-ci recrée à son tour un champ électrique. L’ensemble des deux champs, le champ électromagnétique, devient totalement autonome ! Il est sa propre source et n’a plus besoin de charges pour exister. Cette configuration particulière de champ est ce qu’on appelle la lumière (et je pense que vous ne remettrez pas en cause son existence).

Mais au final, qu’est-ce qu’une charge et un champ électriques ? Pourquoi ont-elles cette nature profonde ? Pourquoi ces entités physiques se manifestent ainsi ? Impossible pour la Science de répondre à ces questions, ces « pourquoi » relèvent de la métaphysique et non de la physique. Remplacez « pourquoi » par « comment » et la physique le pourra à nouveau, reliant les propriétés de ces entités à des entités plus fondamentales encore. Mais les questions demeurent. Et bien que, personnellement, je n’aie pas besoin de réponses à ces questions, qui enroberaient les choses d’un voile de mysticisme que je juge inutile, en revanche, j’estime que ces entités physiques elles-mêmes (et en toute généralité) ont quelque chose de réellement magique.
« Électrique » est un mot que vous jugerez probablement d’une banalité affligeante, mais si vous me demandiez de le remplacer par « télékinésique », je ne dirais pas non. En fait si, je dirais non, ça ne serait pas pratique de faire toutes ces substitutions pour si peu ! Mais dans le fond, ça ne me dérangerait pas. Parce que cette charge est réellement capable d’influer à distance sur une autre, en créant autour d’elle un champ. Et même si cette action ne provient pas d’un esprit humain, ne peut-on pas la qualifier de télékinésique ? L’Histoire nous dit que Thalès de Milet a découvert les effets d’attraction dus à l’électricité statique grâce à l’ambre jaune, appelée « êlektron » en grec. Soit ! « Électrique » renseigne donc sur l’origine de la première découverte de cette catégorie de phénomènes, rien de plus. Il souffre malheureusement, comme tant d’autres, de la banalisation due à son usage massif à notre époque. Mais il ne doit pas faire oublier la Magie simplement présente dans le concept qu’il désigne !

Bien entendu, charges et champs électriques ne sont pas le seul exemple qui s’inscrivent dans cette démarche, à mon sens. Très proches de cet exemple, il y a les champs magnétiques (mais pas de charges magnétiques) qui autorisent ce type d’action à distance entre des aimants. Il y a les masses (les charges gravitationnelles, qui ne peuvent que s’attirer) et les champs gravitationnels. Il y a finalement n’importe quel concept de physique, à partir du moment où on a réussi à le débarrasser de sa banalité qui nous vient du quotidien, et à le repenser pour lui-même. Un enfant peut s’émerveiller d’un peu d’eau qui coule, cela n’a rien de banal pour lui qui le découvre pour la première fois. Pourtant, nous pouvons tout autant trouver ça captivant, par exemple en songeant au fait que cette simple chute est provoquée – à distance – par l’action d’une planète entière de 6 millions de milliards de milliards de tonnes.

Et enfin, il y a, plus forcément des concepts, mais aussi des réalisations scientifiques qui démontrent toujours un peu plus le champ des possibles sous ces lois physiques qui semblent si contraignantes. On peut trouver pêle-mêle des fluides qui ne sont ni des liquides, ni des gaz, des matériaux parfaitement conducteurs alors que leur structure est parsemée de défauts, des objets qui sont à la fois dans un état et dans un autre, des liquides qui peuvent indéfiniment s’échapper de leur récipient en grimpant sans efforts sur leurs parois, des particules qui franchissent des murs infranchissables, du vide rempli de particules et d’énergie…

Et ça n’est pas parce qu’on peut comprendre comment c’est possible que ça n’est pas magique !

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